Le grand brochet, un vorace mangeur de canetons aux yeux de glace

J’avais 13 ans à l’époque. Lors d’un voyage de chasse à l’orignal, mon père avait suggéré, à mon frère et moi, de capturer quelques brochets en prévision du souper. Or, avec seulement une vieille canne qui trainait dans le fond du pick-up, nous étions un peu à court d’équipement. Cependant, quand mon père rôde autour, tout devient possible. Devant nos yeux stupéfaits, il dépluma des perdrix tout en accrochant la partie supérieure d’un oiseau, pour ne pas dire la tête, directement sur un gros hameçon. Calmement, il nous dira : « Tiens, ça fera l’affaire! » Comme s’il avait fait ça toute sa vie ! Je me souviens de l’effet ressenti en lançant tout ça dans l’eau devant un herbier. Pour tout dire, je n’y croyais pas vraiment, mais mon père, aujourd’hui âgé de 91 ans, est tout sauf un hurluberlu. Dès que sa création artisanale toucha l’eau, un sillon apparut à la surface et, de façon instantanée, un requin d’eau douce captura notre offrande. Le brochet pesait environ 8 livres. Au second lancer, mon frère en captura un autre de taille similaire. Mon père évalua que c’était suffisant et la canne a été remisée dans le pick-up. Il va s’en dire que mon père avait coupé un peu abruptement notre plaisir, mais connaissant dorénavant la voracité de ce poisson, je savais que j’allais faire également preuve d’imagination à mon tour pour bien rivaliser avec lui.

Moulin à viande

Le grand brochet mérite véritablement le titre de « moulin à viande » pourvu que ça passe dans sa gueule ! Mais est-ce possible que les histoires de brochet soient parfois un peu exagérées et qu’en pense la science ? Dans le volumineux ouvrage scientifique traitant des poissons d’eau douce du Canada, les auteurs W.B Scott et E.J Crossman rapportent que le grand brochet mange pratiquement tous les vertébrés vivants à sa portée. On a calculé que la taille optimale de ses proies se situe entre le tiers et la moitié de sa taille. Ainsi, ils mangent à certaines périodes de l’année de grandes quantités de grenouilles, des écrevisses et d’autres vertébrés tels des souris, des rats musqués et les beaux petits bébés canards que vous voyez sur le fleuve et devant vos chalets. Êtes-vous surpris ?

Et si je vous disais que dans un seul sanctuaire faunique du Michigan, les grands brochets ont consommé en moyenne 1,5 million d’oiseaux aquatiques, en dépit du fait que les petits poissons formaient la majeure partie de leur régime alimentaire à cet endroit. En mangeant autant, nous devinons qu’ils peuvent devenir gros.

Record canadien

Le record canadien de poids capturé à la ligne pesait 49 livres et il provenait du lac Tschotogama, au nord du lac Saint-Jean. La longévité des populations à croissance rapide du Sud canadien peut être de 10 à 12 ans, alors que chez les populations plus nordiques à croissance lente, il se situe plutôt entre 24 et 26 ans. Contrairement à certaines espèces comme le doré jaune, le grand brochet est sédentaire et solitaire. Il occupe en général un habitat où il pourra se nourrir abondamment des proies qu’ils affectionnent.

Capture impressionnante

Malgré certaines exceptions, on le capture majoritairement entre la surface et autour de 15 pieds de profondeur près des herbiers et là où des petits ruisseaux apparaissent. Un soir, lors d’une expédition de canot-camping dans la réserve faunique de La Vérendrye, mon groupe et moi en avons justement vu un dans l’intersection de plusieurs petits ruisseaux. L’insoupçonnée brute a fait tout un tabac devant nous en capturant un jeune rat musqué. À ce moment précis, les filles qui avaient les bouts des orteils colorés qui baignaient dans l’eau ont caché leurs petits pieds dans le fond de leurs canots respectifs sans bouger. J’ai pris ma canne et j’ai lancé un poisson nageur en direction du brochet. C’est un petit doré qui a saisi le leurre dans sa gueule. Or, en ramenant le petit doré agité et vulnérable près du canot, le gros brochet a émergé de nulle part et a attaqué le petit doré directement entre nos quatre canots. Le brochet long comme une loutre a donné de violents coups de tête et puisque mon équipement n’avait rien à voir avec sa taille, il a cassé. En bref, j’ai ramené un bout de fil que ses dents inclinées vers l’intérieur de sa gueule avaient coupé sans trop d’efforts. Ce genre de scène ne s’oublie pas comme ça. J’en ai vu des gros brochets dans ma vie !

Poisson divertissant

À titre de poisson sportif, le brochet est fort divertissant. Une fois bien ferré, il faut s’attendre à de beaux combats avec sa physionomie de barracuda qui lui donne de la vitesse et des options d’explosions en puissance.

Comme il est doté de multiples dents acérées, il faut attacher un bas de ligne (avançons) d’au moins 12 pouces de longueur devant le leurre, car si vous attachez le leurre directement au fil, vous aurez les mêmes mauvaises surprises que moi.

Les mois de juillet et août sont des bonnes périodes pour les capturer et le fleuve Saint-Laurent et certains de ses tributaires sont à considérer.

Plusieurs ZECS, pourvoiries et réserves fauniques abritent également de beaux spécimens. Personnellement, j’aime le pêcher en dirigeant mes lancers vers les berges et en présentant mes leurres comme des proies qui s’agitent frénétiquement.

S’équiper pour le succès

Le brochet raffole des teintes voyantes. J’ai beaucoup de succès avec de grosses cuillères rouges et blanches en version originale de la marque Dardevile (1 1/2 oz) J’aime bien le modèle anti-jonc de ce fabriquant, qui est moins accrochant. Les cuillères tournantes grand format de type MEPPS surmontées d’un trépied fourni de poils colorés sont également excellentes. C’est aussi le cas des grosses cuillères Syclops orangées. Mon coffre à brochet contient aussi de gros poissons nageurs et des Spinnerbaits. Tout ce qui imite bien une grenouille est à considérer. Choisissez un fil de pêche de qualité et une canne capable d’en prendre.